« Il ne faut pas céder aux sirènes »

Publié le 13 septembre 2017

Dans un marché du Très Haut Débit qui connaît aujourd’hui des remous, Philippe Richert, président de la Région Grand Est, a mis les points sur les « i » ce 13 septembre lors de l’université d’été du Très Haut Débit à Epernay.

Au cours de l’été, la Région Grand Est a attribué le marché pour le déploiement de la fibre optique dans les sept départements de l’Aube, de la Marne, de la Haute-Marne, de la Meurthe-et-Moselle, des Vosges et de la Meuse. C’est le plus grand réseau d’initiative publique de France pour un investissement de 1,3 milliard d’euros. Ni Orange, ni SFR n’ont obtenu ce contrat qu’ils convoitaient beaucoup. C’est le consortium conduit par NGE et Altitude infrastructure, déjà attributaire du marché pour l’Alsace via la société Rosace, qui a obtenu le contrat.

Philippe Richert, président de la Région Grand Est, a raconté ce jour les coulisses du dossier. “Quelques jours avant la prise de décision pour l’attribution du marché Grand Est, j’ai eu un courrier de SFR que j’ai pris comme une forme de menace, difficile à accepter”. Le groupe SFR expliquait dans ce courrier que s’il n’obtenait pas le marché il allait construire un réseau en parallèle dans les sept mêmes départements sans demander d’argent public.

Philippe Richert a ajouté : “J’ai revu les acteurs et SFR a indiqué que sa lettre n’était pas une agression, mais une manière de montrer son intérêt pour ce projet”.

“Mais que diable…”

SFR est ensuite allé plus loin en annonçant son intention de déployer la fibre optique dans toute la France sans aide publique. Depuis, le marché est en émoi face à ce que certains présentent comme de la poudre aux yeux, que d’autres voient comme une provocation et qui pour d’autres encore est un non sens économique qui conduira nécessairement vers une nouvelle fracture numérique.

Les spécialistes de l’aménagement numérique de la France partagent la même conviction : jamais un opérateur privé ne réalisera un déploiement à 100% d’une commune rurale. Il s’occupera peut-être du centre-bourg, mais il ne fera rien pour les annexes des villages ou les bâtiments isolés. Et il y a fort à parier qu’il ne s’occupera pas des plus petites localités.

Le président Philippe Richert a été très clair : “Il ne faut pas céder aux sirènes ». Il a été pragmatique en évoquant les dirigeants de SFR, cette fois sans les citer : «Ils disent qu’ils peuvent déployer la fibre optique en zone rurale sans argent public. Mais que diable pourquoi ne l’ont-ils pas fait jusqu’à présent”.

Il a encore prévenu : “Si on permet une concurrence dans les zones rurales ce sera le coup d’arrêt du très haut débit dans ces territoires. Ce serait une manière de dire aux jeunes : votre avenir n’est pas ici. Je me battrai jusqu’au bout pour que les territoires ne soient pas oubliés. C’est mon engagement personnel à l’égard des gens. Je le dis calmement, mais de manière déterminée, c’est un objectif d’équité territoriale”.

“Des spasmes”

Laurent Pélisson, président de CapHornier, société de conseil financier pour les collectivités locales et les institutions publiques, a été plus direct encore. “Il y a des spasmes. On est en période de surchauffe de l’économie du très haut débit. Il y a des réactions ultra-opportunistes”. Etienne Dugas, président de la FIRIP, a enchainé : “10 000 prises de fibre optique sont construites par jour dans le cadre du plan France Très Haut Débit. Le groupe SFR provoque des vagues et des remous. On attend de la stabilité, c’est ce qu’on va demander à Julien Denormandie, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires”. Il sera en visite ce 14 septembre à l’Université d’été du THD à Epernay.

Un expert analyse : “Le Grand Est a été précurseur et innovateur en matière d’aménagement numérique du territoire. SFR sème le trouble. L’Etat doit s’en mêler. Légiférer serait la meilleure solution avec une règle simple : là où un réseau d’initiative public est déployé avec des investissements mixtes publics et privés, il ne peut pas y avoir en parallèle d’investissement privé par des initiatives complémentaires”.

Notre photo (de gauche à droite) : Franck Leroy, Maire d’Epernay, président d’Epernay Agglo Champagne et Vice-président de la Région Grand Est ; Philippe Richert, président de la Région Grand Est, Xavier Dubourg, vice-président Laval Agglomération et René Paul-Savary, président du Conseil départemental de la Marne